Le continent fait de plus en plus rêver les jeunes diplômés, qui sont aussi très courtisés par les entreprises pour des emplois entre Dakar et Lagos.
Ses parents ont quitté l’Afrique pour Paris à l’aube des années 1980. Née en France, Naomie fait partie de cette diaspora africaine qui rêve du ticket retour. Son master de développement international en poche, elle a décidé de s’installer sur la terre de ses ancêtres. « Kinshasa a besoin des jeunes de la diaspora. On a fait de bonnes études et on peut servir de catalyseur, apporter l’étincelle qui manque », explique la jeune femme de 23 ans.
Avant ce grand saut, Naomie cherche un premier poste basé à Paris qui lui permettrait de « mieux se familiariser avec cette zone ». Et de peaufiner son projet. « L’Afrique s’est peu à peu imposée à moi comme une évidence ». Maintenant, il faut que j’affine car j’ai d’abord pensé à travailler dans une ONG pour découvrir ensuite que cette vision est restrictive. Le développement passe aussi par d’autres leviers », ajoute l’ex-étudiante de Sciences Po Paris.
« Notre force reste le potentiel humain »
Il y a deux ans, lors de son année de césure, elle a passé du temps au service économique de l’ambassade de France au Gabon. « Libreville était un observatoire exceptionnel pour prendre le pouls de la région », ajoute-t-elle. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’elle glisse de l’idée d’un travail dans l’humanitaire à un emploi plus classique. Observant que 38 000 entreprises françaises ont exporté vers l’Afrique en 2017.
« Je mesure qu’il y a des postes à occuper, plein de choses à faire »,observe la jeune femme qui n’est pas la seule intéressée. « Chaque fois que je vais à un recrutement pour l’Afrique. Je croise des camarades de Sciences Po, des élèves de HEC ou d’écoles d’ingénieurs, eux aussi enfants d’immigrés ». Preuve peut-être que, comme l’annonce Talent2Africa, plate-forme de recrutement en ligne dédiée à la diaspora africaine. 76 % des enfants de la diaspora africaine auraient bel et bien envie de s’impliquer dans le développement du continent de leurs aïeux.
Depuis l’obtention de son diplôme cet été, Naomie prospecte avec assiduité. Samedi 8 septembre, elle a distribué ses CV, échangé ses cartes au rendez-vous de l’Africa Leadership Forum à Paris. Organisé par Talent2Africa pour l’International Finance Corporation (IFC). Le bras armé de la Banque mondiale dédié au secteur privé voulait rencontrer de nouveaux profils. Provenant de la diaspora africaine car, comme l’a rappelé Nicolas Souche, responsable des investissements en infrastructures, « notre force reste le potentiel humain ».
Outre l’IFC, ce forum parisien a attiré des représentants d’entreprises privées, en repérage eux aussi. Car aux envies des diplômés répondent les besoins des firmes. Au point même que neuf patrons sur dix seraient aujourd’hui inquiets du recrutement en Afrique (Talent2Africa).
« Back to Africa »
Une aubaine, donc, pour quelques-uns des 6,7 millions d’enfants de la diapora africaine ? Si la France n’a pas toujours valorisé leur double culture, l’Afrique, elle leur fait un clin d’œil, consciente qu’ils ont des atouts. A cette idée, Ahmad, 25 ans, master en finance en poche, soupire d’aise. « C’est au forcing qu’on se fait une place dans la société française où il vaut mieux être blond aux yeux clairs que maghrébin ou subsaharien. Alors être un peu courtisé n’est pas désagréable », observait le garçon en marge du forum. DRH chez Bolloré Africa Logistics, Bintou Konaré rappelle en effet que sur les 36 000 salariés de son groupe, 25 000 sont en Afrique, ce qui « oblige à rester toujours en veille » et que « l’esprit ouvert des jeunes de la diaspora, leur positionnement à la croisée des mondes grâce à leur double culture, leur donne une vraie longueur d’avance. »
Observer samedi 8 septembre, la foule pressée autour des pionniers, venus partager leurs « histoires d’Afrique », pouvait donner une première idée du magnétisme du continent sur certains enfants de la diaspora africaine. Siny Samba, diplômée de l’Ecole d’agronomie de Montpellier, a bluffé l’auditoire des salons de l’hôtel Pullman. A 26 ans. Elle a déjà lancé ses petits pots pour bébé au Sénégal et n’en finit plus de se développer.
« Je rêvais de travailler pour une multinationale. Aujourd’hui, je suis à la tête de ma petite entreprise », résume la jeune femme. Encore un peu étourdie d’être « patronne » d’une trentaine de salariés à son âge, et très consciente du potentiel de croissance qu’elle a devant elle. Quelques précurseurs, qui avant elle avaient donné le ton de ce « back to Africa ». Ils étaient aussi venus partager l’idée que ce détour par l’Afrique est un accélérateur de carrière. Un des messages, d’ailleurs, d’Edwige-Laure Mombouli, à la tête de We Care Global Communication.
« Une vision assez panafricaine »
« Vous m’auriez dit il y a quinze ans que je serais installée au Congo aujourd’hui, j’aurais souri », pose Mme Mombouli en préambule. Pourtant, cette fille d’immigrés congolais a pris dès 2012 ce train du « retour », qui a démarré dès l’aube du XXIe siècle et s’installe. Une enfance à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), des études, un bon job chez NRJ… Rien ne la prédisposait à faire ses valises.
Pourtant, il a suffi d’un voyage sur le continent de ses aïeux pour qu’elle lâche tout, sûre qu’aujourd’hui « les opportunités sont là-bas ». Depuis 2015, son entreprise compte un bureau à Paris, un autre à Brazzaville. « Et vous savez quoi ? Je fais travailler mes équipes africaines pour mes événements français parce que la créativité est plus là-bas qu’ici. La débrouillardise quotidienne nourrit une remarquable inventivité », observe celle qui aime autant la terre de son père que le pays qui l’a éduquée.
« Mon but est de construire des ponts, rappelle Edwige-Laure Mombouli. Il faut redorer l’image de l’Afrique. Mais aussi aider les enfants des quartiers difficiles ici. Et je travaille chaque jour pour que ces deux objectifs se croisent. ». « Si les anciens, ceux qui sont venus il y a plusieurs décennies ne pensent pas à repartir, la jeune génération, elle, regarde vers ce qu’elle estime être un eldorado », cadre Chams Diagne, président de Talent2Africa. « Le Sénégal, la Côte d’Ivoire, mais aussi le Kenya, la Tanzanie ou le Rwanda sont les têtes de pont après l’Afrique du Sud, bien sûr », ajoute-t-il. « Ce qui est intéressant, c’est que les enfants de la diaspora africaine limitent pas leur regard au pays de leurs parents ou grands-parents. Ils ont une vision assez panafricaine », se réjouit M. Diagne.
Chasseurs de tête
Dans l’imaginaire des jeunes diplômés de la diaspora, l’Afrique s’installe donc, parée de ses taux de croissance alléchants. Et de l’idée que ce continent a besoin de bras et de cerveaux. Rien de béat dans tout ça puisque chaque recruté est conscient que tout n’est pas pour autant idyllique. Et que leur arrivée nécessitera un vrai temps d’adaptation. Sur ce sujet, les femmes entrepreneurs ne tarissent d’ailleurs pas d’anecdotes.
Rétrospectivement, Siny Samba s’en amuse. Pourtant, quand la secrétaire de la banque où elle voulait emprunter à Dakar, pour élargir l’assise de son entreprise, l’a appelée « Monsieur » au téléphone, ça aurait pu l’énerver. Quand elle a franchi la porte de l’entreprise de crédit, et qu’on lui a lancé un « Ah, c’est vous », un peu déçu de découvrir une femme en lieu et place de ce qui aurait dû être un « chef d’entreprise » digne de ce nom, la jeune agronome n’a pas plus bronché. Parce que, dans le fond, Siny Samba était armée pour résister.
S’il reste difficile de mesurer l’ampleur du phénomène des retours, il est bien réel. Les plates-formes comme Talent2Africa s’ajoutent aux chasseurs de tête déjà branchés sur le continent.