22Déc

Diaspora AfricainePublié par le Figaro (novembre 2017, Dalila Kerchouche), cet article illustre la forte tendance actuelle de « retours vers le continent » des talents de la diaspora africaine, à travers le témoignage de 5 jeunes femmes.

Afua Osei, Nicole Almarteifio, Astria Fataki, Mame Diarra Diobaye et Stéphanie Prinet-Morou, découvrent leur cahier du retour en Afrique. Elles partagent leurs expériences différentes. Mais toutes motivées par l’envie de faire pleinement éclore leur talent. Dans un environnement qui leur offre justement la possibilité de faire : L’Afrique.

Elles se disent conscientes de leurs capacités et responsabilités. Et ont décidé de participer à la construction du continent. Elles sont aujourd’hui à la tête d’initiatives dynamiques, au service de l’Afrique. Témoignages :

Les « repats », ces filles prodiges de la diaspora africaine

À la manière des héroïnes de Chimamanda Ngozi Adichie, de plus en plus de diplômées issues de la diaspora africaine retournent vivre et entreprendre sur le continent de leurs parents. Leur ambition ? Apporter leur expertise, accompagner le dynamisme, ne plus faire partie des quotas…

 « Les entreprises recrutent fortement, et les cabinets de chasseurs de tête sont débordés »

Il ya cinq ans, Afua Osei a quitté son appartement cosy à Washington DC, ses copines WASP et sa carrière toute tracée de golden girl chez McKinsey : « Un été, j’ai débarqué à Lagos. J’ai flashé sur l’énergie frénétique et vibrante de cette ville. Moi qui n’avais jamais songé à quitter les États-Unis, j’ai décidé de m’installer au Nigeria », explique cette pulpeuse trentenaire en stilettos et chignon bun, diplômée d’un MBA de l’université de Chicago.

Un choix qui surprend ses parents : « Ils ont quitté le Ghana à 30 ans pour une vie meilleure, raconte Afua. C’est exactement l’âge de mon come-back en Afrique. Ils craignaient une régression. Alors que, pour moi, c’est une évolution. » Pourquoi ce retour aux sources ?? Son visage s’éclaire : « Ici, tout est possible, affirme-t-elle. Ce n’est pas qu’une question d’identité, mais aussi d’opportunités. Après la crise des subprimes aux États-Unis, en 2008, l’African dream a remplacé l’American dream dans l’esprit d’une partie de la jeunesse afro-américaine. Ce continent, c’est la nouvelle Amérique. »

Les « repats »

En anglais, on les appelle les «? rapatriés  ?», and in English, les « ?repats? ». Comme Afua, de plus en plus de jeunes diplômés, issues de la diaspora africaine, quittent l’Europe ou les États-Unis pour vivre et travailler sur le continent de leurs ancêtres. Quête de racines ?? Pas seulement : elles veulent aussi surfer sur l’essor économique de la région et donner plus d’empowerment aux femmes.

Selon les prévisions de la Banque mondiale, la croissance globale africaine devrait passer à 3,2?% en 2018, et à 3,5?% en 2019. « Les entreprises recrutent fortement, et les cabinets de chasseurs de tête sont débordés, analyse Nadia Mensah-Acogny, sociologue et fondatrice du cabinet de conseil Acosphère. Ce phénomène de « reverse migration »  contredit les clichés trop souvent misérabilistes véhiculés sur l’Afrique. Ces migrations sont choisies et réussies. Pour le continent, ce retour des cerveaux représente une mine d’or. »

De la réalité à la fiction

La littérature et la télévision se sont éloignées du phénomène. Dans Americanah ?, paru en 2015 en France, la romancière Chimamanda Ngozi Adichie raconte le retour à Lagos d’une jeune blogueuse de Philadelphie née de parents nigérians. Sur le modèle de  Sex and the City , la série ghanéenne  An African City  met en scène avec humour les aventures de cinq trentenaires afro-américaines, glamour et diplômées de Harvard ou d’Oxford, revenue à Accra tendre leur chance. Sa créatrice, Nicole Amarteifio, elle-même une rapatriée, rêve de changer l’image des femmes dans la société africaine. Cette série, devenue un succès populaire, incarne cette nouvelle génération de jeunes diplômés, actifs, mobiles, cosmopolites et multilingues.

Au pied de l’Atlas marocain, plusieurs dizaines de rapatriés networkent avec enthousiasme dans les allées bordées de rosiers du Beldi Country Club, à Marrakech. Elles font partie des 400 businesswomen lieux de 41 pays participent à la première édition de Women in Africa, organisée fin septembre par Aude de Thuin. « Ce sommet international vise à identifier les talents féminins du continent, à rassembler, à encourager et à accompagner, explique la fondatrice et ex-présidente du Women’s Forum. Ces jeunes diplômés rentrent pour participer, créer, entreprendre et inventer leur Afrique. »

Me rapprocher de mes racines m’a donné des ailes

Aux côtés d’Aude de Thuin, la chef d’orchestre de Women in Africa affiche le profil type de la returnee. Belle, jeune, ambitieuse, ses cheveux d’ébène finement tressés, Ndeye Diarra Diobaye supervise chaque détail avec une acuité et une énergie palpables. Le contenu du Women in Africa, c’est elle qui l’a conçu. Née à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, d’une mère franco-malienne et d’un père sénégalais, cette experte en stratégie marketing affiche, à 23 ans, un aplomb de businesswoman confirmée.

En 2016, après un an en Inde, revenir en France ne la tentait pas. « J’apprends alors qu’un ami de Sciences Po est nommé à la tête d’un cabinet de conseil au Gabon. C’est mon déclic. » Elle postule et atterrit à Libreville. Gare à l’utopie de l’Afrique, prévient-elle : « J’avais l’illusion que tout irait mieux là-bas. Mais c’est faux. Je ne me suis pas du tout adapté. Je n’avais pas d’amis, et je vivais seule, ce qui n’était pas le cas des filles de mon âge. » En avril 2017, elle a rencontré le cap sur Dakar. « Il y avait là une effervescence incroyable. Je me sentais chez moi. Entourée de mes amis et de ma famille, j’avais un ancrage émotionnel. Me rapprocher de mes racines m’a donné des ailes. Tout s’est accéléré, j’ai foncé et lancé mon cabinet de conseil. L’Afrique est un continent à la taille de mes ambitions. »

Ne plus se sentir singularisée par sa couleur de peau : toutes affirmées avoir éprouvé un relâchement mêlé d’un sentiment de libération. « Dans tous mes jobs, j’étais la seule Noire, explique Afua Osei. Alors qu’à Lagos ma couleur de peau est la norme. Cela me libère d’un poids dont je n’avais pas conscience ?! Depuis que je vis au Nigeria, je me sens désinhibée. » Stéphanie Prinet-Morou, 39 ans, d’origine togolaise, perçoit aussi ces freins insidieux : « En Occident, on finit par ressentir une lassitude d’être une minorité. En Afrique, on n’est plus un quota. On peut agir comme des pionniers. Sur un plus d’audace et de liberté. »

L’intégration

De la Tunisie au Zimbabwe, en passant par la Tanzanie et le Kenya, toutes ces returnees affirment le même désir : faire bouger les lignes, inventer une nouvelle Afrique, inclusive et ouverte sur le monde. Astria Fataki, 27 ans, née à Kinshasa et diplômée de Sciences Po Paris, fait partie de ces millennials en quête de sens. Elle a quitté un CDI dans le quartier de la Défense, en France, pour s’investir au Togo dans le secteur de l’énergie. Là encore, les débuts ont été difficiles : « Quand je suis arrivée à Lomé, on m’appelait la « Bounty » : noire à l’extérieur, blanche à l’intérieur. » Voir plus Astria ne se décourage pas : « En Afrique, l’énergie est un puissant accélérateur de développement, qui change la vie des femmes.

Éclairage, électrification des centres de santé pour sécuriser les accouchements de nuit, mécanisation des travaux des champs pour soulager les femmes… Les bienfaits sont rapides et concrets. » Elle crée l’African Energy Generation Prize, un concours panafricain d’inventions de solutions génératrices d’énergie à bas coûts, qui lui a valu une valeur d’être distinguée au Women in Africa. « Nous apportons de l’altérité, et donc de l’innovation. Nous ne réinventons pas l’Afrique. Nous sommes un outil puissant qui lui permet de se réinventer. »